Corps

Extrait de : Éclat de fleuve 9

Bécasseaux!

Des centaines! Furtivité des petits pas.

La somme des infinitésimales traverse le corps bord en bord.

Vifs. Sur le qui vive.
Perles de lumière sautillantes.
Mailles de dentelles.
Complices du soleil et du ciel.
Prouesses envol.
Le fleuve écrin en toile de fond.
Frémissements collectifs.

Micro pattes. Micro sons. Micro mouvements.

Extrait de : Un seul cœur qui bat

Humains, non humains, un seul coeur qui bât.

Respirer, humer, parce que quand on inspire, on inspire le monde. Il passe à travers le corps. Quand on expire, le monde est un peu différent parce qu’il est passé à travers le filtre corporel.

Respirer avec les algues, les roches, les mollusques, c’est reconnaitre que ces algues, roches, mollusques permettent, justement, de respirer.

Le rythme embrasse les vibrances de chacun, humains et non-humains.

Même à peine audible, la pulsation sonore est toujours présente -les molécules sonores vibrent. Il existe un tempo de fond, un roulement, un battement, un tambourinement constant entre les corps humains et non humains.

Extrait de : Le corps des journalistes au combat

Le combat des journalistes canadiens contre le harcèlement et les agressions physiques a été exacerbé lors de la manifestation des camionneurs à Ottawa en février 2022.

Des journalistes couvrant la manifestation ont été encerclés, poussés, bardassés, insultés, invectivés par des manifestants. L’Association canadienne des journalistes a fait état d’une avalanche de messages racistes et misogynes.

Le combat a été présenté principalement comme une lutte pour « la liberté de presse » et les attaques comme étant « inquiétantes pour la démocratie ».

Une autre façon de voir le combat est de plutôt le présenter comme une lutte pour protéger un outil de travail crucial, soit : le corps du journaliste. Quand le corps du journaliste est harcelé, menacé, agressé, il ne peut plus bien servir la démarche journalistique.

Le harcèlement et les agressions minent, érodent, rongent, dégradent l’outil de travail. Autrement dit, l’angle mort du combat des journalistes contre les voies de fait, le harcèlement et les divers dangers, c’est le corps. Le corps outil. Le combat à mener est de maintenir l’outil intact, aiguisé, affuté.

En effet, on peut voir le corps du journaliste comme un outil. Plus précisément, un outil « capteur », « transducteur » et « dépositaire » au service de la démarche journalistique.

Cette façon d’envisager le corps des journalistes et le travail journalistique ouvre la voie à des questions nouvelles quant aux combats à mener. Par exemple :

  • Comment le corps capteur, protégé par un garde du corps, accomplit-il son travail?
  • Quelles informations capte un corps bousculé, ou victime de voies de fait?
  • Une attaque contre une journaliste est-elle une information pertinente? Faut-il en faire fi? L’attaque doit-elle être l’objet du reportage?
  • De quelles façons le corps transducteur réagit, au moment de trier les informations, s’il mène en parallèle un combat contre du harcèlement? Contre la peur?
  • Faut-il tenir compte de cette strate supplémentaire d’analyse? Comment?
  • À quel moment l’auto censure intervient-elle?
  • Les journalistes à fleur de peau, accablés, peuvent aussi se demander :
    Qu’y a-t-il dans ce harcèlement à capter, filtrer et porter?
  • Y a-t-il un manque de représentation, un manque de reflet des préoccupations des personnes harcelantes?
  • Faut-il réfléchir à comment les journalistes réalisent leur collecte d’information, auprès de qui?
  • Faut-il remettre aussi en question les catégories, significations, valeurs convenues ou tenues pour acquises utilisées pour classer les informations?
  • Faut-il remettre en question les façons journalistiques de créer du sens?
  • …questionner l’impact du micro, de la caméra ou du carnet de notes?
  • …réfléchir au pouvoir de représentation du journaliste?
  • …laisser plus de place aux idées marginales?
  • Les journalistes doivent-ils intégrer le harcèlement et la possibilité d’attaques à leur routine de travail, à leur démarche journalistique?
  • Doivent-ils tenir pour acquis que « La violence physique et les traumatismes émotionnels font partie du quotidien du journalisme »?
  • Les journalistes pourraient même réfléchir au fait que
    …Il y a une adrénaline, donc une énergie puissante à puiser dans la couverture de manifestations hostiles.
  • Ce qui ouvre la voie à d’autres questions :
  • Les journalistes peuvent-ils avoir plusieurs corps, ou se détacher en plusieurs corps -avoir à la fois un « corps filtre » et un « corps armure »?

Extrait de : Mobiliser le corps audio pour créer du sens.

Pratiquer l’immersion sonore. Être à l’écoute du monde sonore, des signaux culturels, sociaux et environnementaux.

Laisser le son envahir le corps, s’emparer du corps, l’habiter, l’astreindre à résonner.
Que le son s’immisce dans la tête, interpelle les os et les nerfs.
Que le corps devienne un site, sur lequel s’inscrivent les informations sonores.

Utiliser son corps en étant attentif aux informations dans le fond sonore, son intensité et son rythme, dans le « grain » des voix, leur intonation, leur modulation, leur inflexion.

Être alerte aux silences, soupirs, apnées, aux mots, phrases, à la façon dont ils sont énoncés, à leur signification, à la sincérité ou à l’absence de sincérité de même qu’à ce que les voix dévoilent des motivations des personnes.

Autrement dit : mobiliser son corps audio.

Un corps audio capteur, en mode d’attention somatique.
Un corps audio transducteur, agissant à la fois comme un filtre, un convertisseur et un mixeur de stimuli sonores hétérogènes.

Le corps audio transducteur crée de nouvelles réverbérations, de nouveaux échos sonores, il transforme la substance des éléments qu’il traite. Il crée du sens.

Le montage sonore mobilisera ensuite le corps de l’auditeur. Son corps pourra être immergé, plongé en profondeur dans le son.

L’écriture sonore est un processus démarrant avec une quête d’informations immatérielles et un dialogue avec le son sous toutes ses formes, même inaudibles.
Elle se poursuit avec une collecte mobilisant le corps audio capteur et transducteur, y compris l’affect de l’auteure sonore.
Elle culmine en une composition resignifiant le réel qui instruira sonorement le corps de la personne qui écoute, jusque dans son affect.

L’écriture sonore crée du commun en amenant les corps à vibrer en harmonie.

Chaque corps instruit de l’auditoire résonne et raisonne différemment.

Les façons de créer du sens se renouvellent, se transforment.

Extrait de : La journaliste Linda Kay et la résonance des citations.

Pour réaliser un reportage, sortir.

Où aller, quel terrain arpenter? Celui de la source, du sujet, de l’histoire. Chercher l’action -une athlète s’entraîne, une designer prépare un show.

Puis, avoir les sens en alerte.

Develop your observational skills by being alert to sensory clues, by taking the time to really look and listen, by seeing and hearing with fresh eyes and ears, by noticing details you have not noticed in the past.

Extrait de : Éclat de fleuve 6

Nager dans le fucus. Comme nager dans la forêt.

À marée haute, les grappes du fucus flottent, montant vers la lumière.

Une baignade hardie mène dans les bouquets. Avec l’impression de nager dans une forêt.

Le mouvement de crawl ralentit. Les membres s’empêtrent. Les bras et les jambes se fondent aux branches et ramifications.

Extrait de : Cixous pour raviver son écriture.

Aborder les sujets en évitant le convenu. Sortir des sentiers battus. Lire Hélène Cixous pour s’extraire des habitudes ou des conventions d’écriture.

Se réfugier dans un espace primitif. Mobiliser ce lieu en soi.

I entrust myself to the primitive space.

Quand le cœur bat plus vite, le filon est bon. La joie est bon signe.

There comes the time of imminence. A desire to write rises in my body and comes to occupy my heart. Everything beats faster. The entire body readies itself.
…the proof of creation is laughter.

Donner une forme. Utiliser les outils : les mots. Les bien choisir pour qu’ils servent le propos, qu’ils reflètent les vibrations de l’âme.

It is a marvel to feel the innumerable vibrations of the soul make themselves, collect themselves, crystallize themselves into word.

Extrait de : Éclat de fleuve 4

L’absence de bruit envahit le corps. Une marée d’apaisements. Les micro émanations sonores inondent la conscience.

  • Les bulles dans les algues.
  • Les feuilles sensibles à la brise.
  • La furtivité des petits pas.
  • Une aile qui bat.
  • Un urubu qui glisse.
  • Un grand héron qui voyage.
  • Extrait de : Corps à corps avec le fleuve.

    Le fleuve est vu ici comme un corps, tout comme l’humain s’incarne dans un corps. Il y a une interconnexion des fluides et des substances entre les corps, une « transcorporalité » humain-fleuve. Ces corps intensifient leur présence, leur capacité d’agir, quand ils s’associent.

    Extrait de : Le corps du journaliste est un outil.

    Le corps du journaliste peut être mobilisé dès le choix du sujet du reportage et jusqu’à la mise en forme finale. Le corps est un outil capteur, transducteur et dépositaire d’information, au service de la démarche journalistique.

    Quand les journalistes reconnaissent leur corps comme un outil capteur, un médium pour percevoir, interpréter et ressentir le monde, ils s’ouvrent à de possibles « épiphanies sensibles ».

    Leur corps en mode d’attention somatique devient un site sur lequel s’inscrivent les enjeux sociaux.

    La « transduction » journalistique pourrait quant à elle être décrite ainsi : ensemble d’activités comprises entre le captage et l’analyse de signaux internes et externes du corps jusqu’à la mise en forme finale du reportage, ayant pour but de s’ouvrir aux autres, d’absorber leur réalité et de la décrire; ayant aussi pour but de questionner les méthodes et l’épistémologie journalistiques.

    Plusieurs canaux d’analyse sont ouverts à la fois, reflétant la « grammaire multimodale » et la « corporalité méthodologique » à l’œuvre.

    Le corps des journalistes est enfin « dépositaire » des collectes et transductions réalisées au fil des reportages. Les voix que les journalistes transmettent dans l’espace public sont passées par le sas journalistique corporel, elles y ont laissées des traces. Les journalistes attentifs à leur corps sont en quelque sorte tatoués. Ce corps marqué, enrichi, dépositaire, pourra servir à nouveau, de façon plus alerte et plus aiguisée, branché sur l’épistémologie de la société.

    Le corps expressif et sensoriel du journaliste interagira différemment et organisera différemment les informations lorsqu’il accomplira sa tâche de « décrire la trame des expériences collectives ».