Journalistes et relationnistes. Une relation obligée où les journalistes s’aménagent des espaces d’autonomie.

Les relationnistes font partie des conditions de production des journalistes. Les relationnistes font aussi partie des contraintes de production.

« Ce n’est pas parce que les journalistes ne sont pas bons. C’est parce que la machine qui contrôle le message est tellement rodée, tellement efficace » (J-19).
« La ‘ cassette’ du relationniste, ça peut faire notre affaire quand on est pressés » (J-18).

Dans leur rapport obligé avec les relationnistes, les journalistes disent conserver une marge de manœuvre. La description de leur possibilité d’action peut se décliner en cinq espaces d’autonomie, où le relationniste joue différents rôles : le collègue obligé, l’émissaire, la proie, l’antagoniste et la cible.

Le collègue obligé

Les journalistes veulent s’assurer que les portes vont continuer de s’ouvrir.

« Veut, veut pas, des bonnes relations, c’est assez important » (J-14).
« Un relationniste que tu dois appeler dans deux jours et la semaine prochaine, tu vas t’arranger pour avoir une bonne relation avec lui » (J-12).

En entretenant des liens constructifs avec les relationnistes, les journalistes maintiennent leur entrée dans les organisations.

L’émissaire

Les relationnistes peuvent être des alliés potentiels dans la mécanique de l’accès à l’information.

« Une bonne relationniste, pour moi, c’est quelqu’un que tu appelles, à qui tu expliques ton besoin et qui te met en contact avec quelqu’un qui connaît le dossier. Et elle assiste à la rencontre pour protéger la personne de son entreprise » (J-19).
« Ils vont m’appeler puis me dire ‘ il se passe telle affaire, penses-tu que ça serait un bon sujet? ’ » (J-6).

Quand les relationnistes ouvrent les portes de leurs organisations et leur facilitent la vie, quand les intérêts des uns et des autres se rejoignent, les journalistes investissent ces lieux d’autonomie.

La proie

Une autre aire d’autonomie est de reprendre le discours des relationnistes pour les forcer à répondre aux requêtes des journalistes.

« Quand on me répond ‘ on n’est pas disposé à commenter tel sujet’, je réponds, ‘ C’est votre rôle, votre unique rôle, de commenter, de répondre aux questions, de donner de l’information ’ » (J-6);
« Je leur dis, ‘ vous êtes au service de vos membres et vos membres comptent sur vous pour les défendre. C’est dans votre intérêt ’ [de répondre à mes questions] » (J-11).

Certains journalistes vont réaliser leur reportage, attendre à la toute fin pour appeler le relationniste et « coincer » la relationniste, qu’elle soit mise « devant le fait accompli ».

L’antagoniste

Les journalistes déploient des efforts pour esquiver ou contourner le relationniste.

« C’est sûr qu’ils vont dire non si on leur demande la permission. Alors non, on ne respecte pas les limites imposées par les relationnistes » (J-12).
« Moi je me suis fait chicaner dans les passé parce que j’avais réussi à parler au patron sans être passé par la relationniste. J’ai dit, ‘ bien regarde là, j’ai fait mon travail de journaliste ’ » (J-10).

De la même façon, des journalistes disent se servir des relationnistes pour s’en déprendre. Ils s’adressent aux relationnistes pour ensuite aller plus loin.

La cible

Pour certains journalistes, il faut parfois montrer du doigt le relationniste et les ratés de la relation.

« Un moment donné, j’ai juste filmé la conférence de presse puis j’ai fait un reportage là-dessus » (J-20).
« C’est révélateur aussi quand tu mets textuellement ce qu’on t’a dit puis que tu montres qu’on ne répond pas à tes question » (J-13).

Quand les journalistes se retrouvent dans un cul de sac, ils vont construire le reportage en mettant de l’avant leur démarche journalistiqu : « Voici ce qu’ils pensent, ils l’ont dit dans un communiqué. Nous, voici les informations qu’on a » (J-18).

Les cinq espaces d’autonomie montrent que les liens relationnistes-journalistes sont imprégnées de contradictions, d’ambivalences et de doutes. Les différents rôles attribués aux relationnistes varient selon l’angle, l’expérience ou l’anecdote mobilisés par le journaliste. Un même relationniste peut être un collègue obligé, puis, une proie ou une cible, selon les échanges du moment.

Référence

Francoeur, C. (2017). Journalistes et relationnistes. Une relation obligée où les journalistes s’aménagent des espaces d’autonomie. Sur le journalisme, 6(1).

Bio

Chantal Francœur est professeure à l’École des médias de l’UQAM. Elle a pratiqué le journalisme à Radio-Canada, aux nouvelles et aux affaires publiques, pendant près de 20 ans. Elle est l’auteur de La transformation du service de l’information de Radio-Canada, de nombreux articles et chapitres de livres sur le journalisme, de compositions sonores, de Ma mère a l’Alzheimer, co-directrice de Relations publiques et journalisme à l’ère numérique.