Une immersion dans la journée d’un journaliste multiplateforme montre comment il affronte ses conditions de production fragmentées.
- Les formats journalistiques – durée du reportage, nombre d’extraits d’entrevues, plateforme à alimenter, etc – orchestrent la production.
- Puis, pour dépasser le rôle de simple « formateur de contenu » et réaliser des reportages « distinctifs », le journaliste tire parti de son autonomie.
Les conditions de production fragmentées :
- Le web imposant des mises à jour régulières, les heures de tombée se multiplient.
- Les reportages se construisent en pièces détachées et de façon progressive.
- Les journalistes doivent souvent travailler avec du matériel cueilli par quelqu’un d’autre, un collègue ou un membre du public.
- Les journalistes doivent expliquer à plusieurs intervenants ce qu’ils font : affectateurs, pupitres, réalisateurs, intégrateurs web, graphistes, etc.
- Plusieurs logiciels sont incompatibles : l’audio télé ne dialogue pas bien avec l’audio radio, ou encore les conversions d’une plateforme à l’autre prennent du temps alors qu’elles devraient permettre d’en gagner.
- Plusieurs journalistes ont des réflexes de travail liés à un média précis – écrit, radio, télévision. Ils sont experts du son ou de l’image. Ils se sentent mal outillés pour des reportages multiplateformes.
Comment les journalistes font-ils face à ces multiples fragmentations pour produire des reportages multiplateformes?
Les journalistes, confrontés à des heures de tombée multiples, vivant un morcellement constant, s’appuient sur les formats journalistiques pour arriver à proposer des reportages cohérents, clairs.
Les formats journalistiques :
Les formats journalistiques sont les patrons à suivre pour créer des reportages adaptés aux différentes plateformes (radio, télé, web).
À titre d’exemple, les reportages diffusés aux bulletins de nouvelles radio ont une durée de 60 à 80 secondes et prennent en général la forme suivante : Narration du journaliste – citation – narration du journaliste – citation – conclusion du journaliste.
Les sources apparaissant dans les formats journalistiques collent elles aussi à des patrons précis : sources officielles, des élus qui ont des comptes à rendre à leurs électeurs, des porte-parole chargés des communications pour une institution ou une entreprise, des experts.
Le reporter réfléchit ainsi : Que puis-je inclure dans ma prochaine prestation? Annonce, réactions, commentaires; images, plans de coupe, tableaux; durée des items; quelles narrations et questions permettent d’organiser le tout : les formats journalistiques orchestrent les fragmentations.
Malgré leur fixité, les formats journalistiques laissent une marge de manœuvre aux journalistes. Les journalistes y ont de l’espace pour déployer leur autonomie, pour produire des reportages qu’ils veulent « distinctifs », proposant des sources variées, présentant des témoignages révélateurs, montrant une compréhension en profondeur du sujet.
L’autonomie journalistique :
L’autonomie s’actualise dans les choix éditoriaux. Les journalistes tiennent à rester « maîtres de leur script », fournir leur propre interprétation des faits.
Les journalistes peuvent développer des liens de confiance avec des sources, faire des demandes d’accès à l’information, réaliser des enquêtes ou des recherches pendant plusieurs semaines, etc.
Journalisme post-intégration : maîtriser des conditions de production fragmentées.
En résumé, le travail multiplateforme est marqué par de multiples fragmentations; pour faire face à ces conditions de production fragmentées, produire des reportages clairs et cohérents, les formats journalistiques fournissent des repères guidant la production quotidienne; l’autonomie journalistique peut ensuite être déployée, de façon ciblée, pour investir au mieux ces formats journalistiques.
Référence
Francoeur, C. (2021). Journalisme post-intégration : miser sur les formats pour maîtriser des conditions de production fragmentées. Les cahiers du journalisme. 2(7), en ligne.