Les pratiques et les discours des relationnistes média.

L’analyse des discours de responsables des relations médias au Québec montre qu’ils doivent concilier leurs principes de transparence, rigueur, diligence et équité avec des limites organisationnelles.

Les relationnistes média veulent fournir rapidement de l’information vraie aux journalistes mais ils doivent jongler avec des contraintes de temps et d’accès, auxquelles s’ajoute l’impératif de servir les intérêts de leur client.

Cela mène à une interprétation et une mise en œuvre restreinte de leurs principes : ils se retrouvent parfois dans les marges de la transparence, rigueur, diligence et équité. Les règles de conduite des relationnistes peuvent alors devenir des valeurs de façade et des plaidoyers pro-relations publiques.

L’enquête a été menée auprès de 30 relationnistes québécois. Ils ont décrit leurs façons de jouer leur rôle, comment ils conçoivent ce rôle et quels principes guident leur travail. Puis, en tentant de voir ce qui peut susciter l’antagonisme des journalistes, émerge ceci : ce sont les modalités de mise en œuvre des principes des relationnistes, les définitions de ces principes et la primauté accordée aux intérêts du client qui sont en cause.

En second lieu, c’est l’aspect promotionnel qui dérange : quand les relationnistes promeuvent des principes dans le but de promouvoir leurs propres intérêts.

Des citations

  • Tous les relationnistes prônent la transparence. R-15 dit par exemple « jouer à visière levée », R-13 parle d’« ouverture ». R-7 explique, « Même quand tu ne peux pas répondre, dis-le : ‘ je ne peux pas le dire ’ ».
  • La rigueur fait aussi partie des principes de travail des relationnistes. R-29 décrit sa démarche lorsqu’il reçoit un appel de journaliste : il cherche à « avoir une information validée, factuelle, vérifiée. Ça, c’est toujours très important. Avant de transmettre une information, même si j’ai une certitude quasi absolue, je vais aller re-vérifier auprès des détenteurs de l’information avant de la transmettre ».
  • Tous les relationnistes tiennent aussi à répondre rapidement aux demandes des journalistes. « Dès qu’un journaliste fait une demande, il faut le rappeler immédiatement. C’est une priorité », dit R-7.
  • Les relationnistes disent répondre à chaque demande, peu importe le journaliste et peu importe pour quel média il travaille : « Les journaux de quartier, sont aussi importants que les quotidiens. L’hebdomadaire, il traine sur toutes les tables partout pendant une semaine. Je sais que les gens le lisent », explique R-11.
  • Les façons de mettre en oeuvre ces principes

    montrent les zones de tensions potentielles avec les journalistes. Concrètement, la transparence et la rigueur sont circonscrites, prennent la forme de messages clé desquels les relationnistes dérogent peu, et la diligence et l’équité souffrent des exceptions.

    • Seul le relationniste peut assumer, incarner, la transparence d’une entreprise ou d’un organisme. Un journaliste ne peut pas entrer où et quand il veut et choisir avec qui dialoguer : « Chez nous, les employés ont ordre de ne pas parler directement aux journalistes » (R-24).
    • Au relationniste « gardien de la transparence » s’ajoute une autre limite : celle du contrat d’entrevue conclu avec le journaliste. Les questions du journaliste ne peuvent pas sortir du cadre. Un relationniste explique : « Je suis là pour dire ‘ l’entente, c’était que l’entrevue allait porter sur tel sujet, donc je préfèrerais qu’on s’en tienne à ce sujet-là ’ » (R-13).
    • La mise au point des messages clé et leur répétition est une autre méthode de travail mettant en lumière les frontières de la transparence des relationnistes : « Sur toutes les demandes médias, on prépare les lignes de presse. Y’a pas de cachette là, y’a toujours des lignes de presse qui sont préparées. Puis ces lignes de presse là sont toujours approuvées par les autorités avant que l’information soit rendue disponible » (R-12). Les relationnistes formatent des messages courts et imagés, prêts à être diffusés, et les répètent : « C’est bête à dire, mais c’est de marteler notre message. » (R-19). Un relationniste explique qu’il « change la formulation [ du message clé ], mais répète tout le temps la même chose. Ça va finir par être la seule chose avec laquelle le journaliste va pouvoir travailler » (R-20).
    • Les relationnistes décrivent plusieurs situations qui commandent le silence. Notamment quand une enquête policière est en cours, ou qu’une cause est devant les tribunaux. Les relationnistes gouvernementaux disent quant à eux ne pas pouvoir répondre aux questions politiques : « Quand il y a des questions sur l’orientation du ministère. ‘ Est-ce que la politique va changer? ’ Il faut refiler ces questions au cabinet du ministre » (anonyme). Des relationnistes travaillant pour des entreprises privées doivent éviter certains sujets : « Rien qui puisse influencer le cours de l’action. Ne pas donner de l’information à nos compétiteurs » (R-26). La transparence s’exprime alors par un « sans commentaire », une absence de contenu.
    • Les relationnistes font état de situations où ils n’arrivent pas à obtenir tous les renseignements voulus au sein de leur entreprise : « Souvent, c’est une bataille à l’interne de convaincre les gens de parler aux journaliste » (R-13). Un relationniste dit qu’il joue le rôle d’émissaire des journalistes auprès de son entreprise, « à l’interne, on est là pour représenter les journalistes au sein de l’organisation, pour convaincre la direction de faire confiance, de croire à l’appareil journalistique » (R-4).
    • À ces difficultés d’accès à l’information et aux sources s’ajoute le manque de ressources. Un relationniste explique qu’il doit évaluer les coûts d’une demande média avant d’y répondre – ou non : « Quand on nous demande des données, des documents, il y a des coûts reliés à ça, dans la rédaction, la cueillette, la compilation, la vérification. On ne peut pas tout faire. On doit faire des choix » (R-6). Un relationniste affirme ne pas insister auprès de ses collègues quand la somme de travail requise est trop importante pour les retombées prévues : « Un moment donné tu te dis ‘ ça va me prendre de l’information de trois de mes collègues. Tout le monde est en réunion. Est-ce que je vais aller déranger tout le monde pour un journaliste qui pense que c’est lui qui décide? ’ » (R-9).
    • Le principe de diligence des relationnistes fait aussi face à des défis. Tous les relationnistes disent réagir promptement aux requêtes des journalistes, mais c’est parfois pour indiquer que la demande du journaliste recevra une réponse plus tard. Les relationnistes ont besoin de temps pour compiler l’information, « On ne peut pas commencer à semer des bouts d’histoires », explique l’un deux, il faut s’assurer d’avoir tous les éléments en main avant de répondre, et les délais imposés par les journalistes « ne sont pas raisonnables » (R-20).
    • Des relationnistes souhaitent que les délais découragent des journalistes : « que le journaliste se tanne et laisse tomber, qu’il passe à un autre appel » (R-3); « Ça peut arriver dans certains dossiers. Quand le cabinet du ministre n’est pas à l’aise qu’on donne cette information, on étire la sauce… dans l’espoir que le journaliste va abandonner. C’est clair » (anonyme).
    • La majorité des relationnistes apporte des nuances à l’affirmation que « toutes les demandes des journalistes sont traitées également. » Des relationnistes développent des contacts privilégiés avec des journalistes qui couvrent leur beat, et accorde à ces journalistes des « traitements de faveur » (R-12). Un relationniste dit, « Parfois je vais peut-être donner priorité à un journaliste qui, je dirais, est plus juste à notre endroit » (R-19). Certains leur réservent des primeurs, « J’ai l’impression que les journalistes sont de plus en plus à la recherche de contenu exclusif. Souvent, ça va être plus facile de positionner une nouvelle en exclusivité » (R-27), plutôt que d’organiser une conférence de presse (R-9).
    • À l’inverse, des relationnistes admettent avoir une « liste noire » (R-27) liée à de mauvaises expériences. Par exemple, dans les dossiers controversés, si le traitement semble systématiquement biaisé : « Un moment donné tu dis, ‘ regarde, je sais qu’est-ce que tu vas dire, je sais qu’est-ce que tu veux me faire dire, cette relation est terminée ’ » (R-14). Un relationniste utilise l’expression « faire sécher un journaliste » qui « nous avait ‘ écoeuré ’ en bon québécois » (anonyme).
    • Des relationnistes disent aussi prioriser les demandes média en fonction de la notoriété de l’animateur, ou de l’importance du lectorat. R-28 dit évaluer le type d’animation et les questions potentielles avant d’accorder une entrevue, surtout si l’entrevue est en direct. R-8 fait la même chose : « Est-ce qu’il y a une ‘plus-value’ pour nous d’aller là ? C’est tout ça qu’il faut analyser.’ »
    • Comme le décrit L’Étang, le discours des relationnistes est une façon de « promouvoir leur rôle de promotion », c’est une « promotion ininterrompue » du rôle du relationniste : « the endless cycle of ‘ the PR of PR ‘ » (p. 223). Ce faisant, les relationnistes assurent la poursuite de leurs activités, de même que celles des organisations qui les emploient.

      Référence

      Francoeur, C. (2018). Les pratiques et les discours des relationnistes média au Québec : dans les marges de la transparence, la rigueur, la diligence et l’équité. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 12.

Bio

Chantal Francœur est professeure à l’École des médias de l’UQAM. Elle a pratiqué le journalisme à Radio-Canada, aux nouvelles et aux affaires publiques, pendant près de 20 ans. Elle est l’auteur de La transformation du service de l’information de Radio-Canada, de nombreux articles et chapitres de livres sur le journalisme, de compositions sonores, de Ma mère a l’Alzheimer, co-directrice de Relations publiques et journalisme à l’ère numérique.