Le combat des journalistes canadiens contre le harcèlement et les agressions physiques a été exacerbé lors de la manifestation des camionneurs à Ottawa en février 2022.
Des journalistes couvrant la manifestation ont été encerclés, poussés, bardassés, insultés, invectivés par des manifestants. L’Association canadienne des journalistes a fait état d’une avalanche de messages racistes et misogynes.
Le combat a été présenté principalement comme une lutte pour « la liberté de presse » et les attaques comme étant « inquiétantes pour la démocratie ».
Une autre façon de voir le combat est de plutôt le présenter comme une lutte pour protéger un outil de travail crucial, soit : le corps du journaliste. Quand le corps du journaliste est harcelé, menacé, agressé, il ne peut plus bien servir la démarche journalistique.
Le harcèlement et les agressions minent, érodent, rongent, dégradent l’outil de travail. Autrement dit, l’angle mort du combat des journalistes contre les voies de fait, le harcèlement et les divers dangers, c’est le corps. Le corps outil. Le combat à mener est de maintenir l’outil intact, aiguisé, affuté.
En effet, on peut voir le corps du journaliste comme un outil. Plus précisément, un outil « capteur », « transducteur » et « dépositaire » au service de la démarche journalistique.
Cette façon d’envisager le corps des journalistes et le travail journalistique ouvre la voie à des questions nouvelles quant aux combats à mener. Par exemple :
- Comment le corps capteur, protégé par un garde du corps, accomplit-il son travail?
- Quelles informations capte un corps bousculé, ou victime de voies de fait?
- Une attaque contre une journaliste est-elle une information pertinente? Faut-il en faire fi? L’attaque doit-elle être l’objet du reportage?
- De quelles façons le corps transducteur réagit, au moment de trier les informations, s’il mène en parallèle un combat contre du harcèlement? Contre la peur?
- Faut-il tenir compte de cette strate supplémentaire d’analyse? Comment?
- À quel moment l’auto censure intervient-elle?
- Les journalistes à fleur de peau, accablés, peuvent aussi se demander :
Qu’y a-t-il dans ce harcèlement à capter, filtrer et porter? - Y a-t-il un manque de représentation, un manque de reflet des préoccupations des personnes harcelantes?
- Faut-il réfléchir à comment les journalistes réalisent leur collecte d’information, auprès de qui?
- Faut-il remettre aussi en question les catégories, significations, valeurs convenues ou tenues pour acquises utilisées pour classer les informations?
- Faut-il remettre en question les façons journalistiques de créer du sens?
- …questionner l’impact du micro, de la caméra ou du carnet de notes?
- …réfléchir au pouvoir de représentation du journaliste?
- …laisser plus de place aux idées marginales?
- Les journalistes doivent-ils intégrer le harcèlement et la possibilité d’attaques à leur routine de travail, à leur démarche journalistique?
- Doivent-ils tenir pour acquis que « La violence physique et les traumatismes émotionnels font partie du quotidien du journalisme »?
- Les journalistes pourraient même réfléchir au fait que
…Il y a une adrénaline, donc une énergie puissante à puiser dans la couverture de manifestations hostiles. - Ce qui ouvre la voie à d’autres questions :
Les journalistes peuvent-ils avoir plusieurs corps, ou se détacher en plusieurs corps -avoir à la fois un « corps filtre » et un « corps armure »?
« Le corps du journaliste au combat » présenté au Colloque Journalisme et combat. Rencontres internationales de recherches sur le journalisme, Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine, Bordeaux.
La présentation.