Éclats de fleuve

  • Jusqu’à l’orée du petit bois, jusqu’au pied des rosiers dont les racines ont été lessivées par la mer, apparait une montagne de joncs. Des rouleaux de joncs, entremêlés de plastique, douilles, styrofoam, sandales, jouets de plage, bouteilles, bouchons, embouts. Surmontés de billots, restes de quais, débris de construction. On soupçonne que des crânes, plumes, os s’y trouvent. On les devine.
    Tapis humide, spongieux, des insectes y pullulent. La laisse est un lieu de vie débordant, attirant les passereaux vifs en vol, les merles et les bruands en marche. Bientôt apparaissent les épinards de mer. Perplexité. Comment croître dans ce tapis? Avec quelles racines? À quelle profondeur? Ils tiendront là tout l’été. Sauf ceux qui seront balayés par une grosse marée.
  • À marée basse, la spartine s’offre en mer verte. La lumière rasante de fin de journée les fait vibrer, révèle leur vitalité. Quand elle aura poussé plus, le vent la fera onduler. Comme un pelage de fauve.
  • Le pygargue, serres sorties, à un mètre au-dessus du canard isolé sur la mer. Tête blanche, bec jaune, ailes ouvertes, queue blanche en éventail, il charge.
  • Le silence. Les bulles dans les algues. Les feuilles sensibles à la brise. La furtivité des petits pas. Une aile qui bat. Un urubu qui glisse. Un grand héron qui voyage. Osmose avec les effleurements sonores.
  • Le matériel hurlant de l’été débarque. Collision entre ce fracas et l’à peine audible. À chacun sa façon de faire le plein, de récupérer, de recharger.
  • Nager dans le fucus. Comme nager dans la forêt. À marée haute, les grappes du fucus flottent, montant vers la lumière. Une baignade hardie mène dans les bouquets. Avec l’impression de nager dans une forêt. Le mouvement de crawl ralentit. Les membres s’empêtrent. Les bras et les jambes se fondent aux branches et ramifications.
  • Vifs. Sur le qui vive.
    Perles de lumière sautillantes.
    Mailles de dentelles.
    Complices du soleil et du ciel.
    Prouesses envol.
    Le fleuve écrin en toile de fond.
    Frémissements collectifs.
  • Bio

    Chantal Francœur est professeure à l’École des médias de l’UQAM. Elle a pratiqué le journalisme à Radio-Canada, aux nouvelles et aux affaires publiques, pendant près de 20 ans. Elle est l’auteur de La transformation du service de l’information de Radio-Canada, de nombreux articles et chapitres de livres sur le journalisme, de compositions sonores, de Ma mère a l’Alzheimer, co-directrice de Relations publiques et journalisme à l’ère numérique.